chapitre 4
Avril
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6 avril
La comédienne
Une comédienne ! Une autre, Rousse celle-ci… une alezane aux cheveux bouclés. Elle était là pour le week-end de Pâques. Je ne sais pas si c’est normal tous ces comédiens. C’est peut être un genre d’élevage ? Ici, il y a des chats, des chiens, des chevaux et des comédiens. Y’a un truc. Il parait que ce sont de drôles d’animaux les comédiens, c’est un certain Molière qui l’a dit. Alors si ce monsieur que je ne connais pas, l’a dit, je veux bien le croire. Bref, revenons à ma petite histoire. Il y avait durant ce week-end de pâques, une comédienne alezane, rousse si vous préférez, qui s’est occupée de moi. Au début j’étais quand même un peu inquiet car elle est venue me chercher, le soir, dans mon herbage. J’ai encore peur de partir. L’inconnu, c’est un peu stressant, vu mon parcours. Mais j’ai vite été rassuré. D’une part la dame rousse était charmante, m’a ramené dans mon box et en plus… en plus m’a donné des carottes. Elle s’est occupée de moi durant trois jours puis elle est repartie au loin, dans le sud. Elle a dit à la fin de son séjour ici : "Si je pouvais, je l’adopterais…" Vous vous rendez compte ? Pendant trois jours, quelqu’un m’a aimé !
7 Avril
Premier lecteur de CERVANTES-SHAKESPEARE : c'est moi !
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13 avril
Parce que j’ai croisé une Béa sur facebook
Aux petites fées
Les petites fées sont multiples. Il y a celles qui vous tressent la crinière, au petit matin, dans les herbages de leurs petits doigts invisibles. Elles font de la balançoire dans nos crins emmêlés, nous chuchotent des secrets de fée et nous talonnent dans nos galops endiablés. Ce sont les mêmes qui au détour d’un chemin s’amusent à nous faire sursauter en jouant de bon cœur dans les sous-bois. Ces petites fées des champs sont espiègles et joyeuses. Leurs rires résonnent à nos oreilles équines. Et lorsque vous nous voyez tourner la tête d’un coup en direction de quelque chose, que vous humains, vous ne sauriez voir, et bien c’est que nous, chevaux, nous venons de les apercevoir. Leurs rires cristallins jaillissent au lever du soleil.
Et puis, je voudrais bien vous parler, du moins vous écrire, vous décrire les autres petites fées. Les petites fées qui ont croisé mon chemin, ma route toute cabossée de cheval égaré. Ces petites fées là, ne portent pas d’ailes multicolores et ne se baladent pas en jupette trop courte, une baguette magique à la main. C’est juste valable dans les dessins animés. Les fées dont je vous parle là, elles courent, filent au travail, assure une vie familiale. Elles sont le plus souvent de pantalons vêtus. Dans leur maison, des chiens, des chats et dans les prés des chevaux. Ces petites fées là, d’un petit mouvement de cœur, d’un élan de bonté, d’un bruissement de conscience, ces petites fées là m’ont sauvé la vie. De cette façon-ci, de cette façon-là. Toutes m’ont tendu la main, m’ont tendu leur cœur à un moment donné. Parce que mon œil si triste, mon petit cœur flétri a trouvé écho dans leur tendresse, ces petites fées là m’ont aidé et m’aide encore.
Petites fées qui m’avez donné de petits grains d’espoir, des petits bouts de vie, des papillotes de survie, merci. Si je suis vivant aujourd’hui, si j’avance comme je peux dans cette vie toute meurtrie, c’est que vous avez croisé mon regard, croisé ma destinée. Vous m’avez aidé à attendre le jour merveilleux ou je deviendrai le cheval de quelqu’un. Mon bonheur à venir est passé par chez vous… Mon bonheur à venir…
18 avril
Fifi
Fifi n’habite pas ici. Fifi ne fait pas partie des chevaux de notre petite communauté. Fifi ne fait pas partie d’une autre communauté, quelque qu’elle soit. Fifi n’appartient qu’à une seule chose au monde et cela s’appelle le désespoir. Et voilà, c’est dit c’est lâché, ça plombe l’ambiance. Ca ne va pas être fastoche, fastoche de la jouer léger, léger avec cette histoire-là. Histoire vraie. Histoire de Fifi.
Fifi, dans un autre temps, elle a dû être rudement jolie. Rudement jolie. Elle porte une robe (et oui, chez nous chevaux, notre couleur se dit robe) donc Fifi porte une robe toute rousse d’automne, avec des reflets de feu. Sa crinière est blond vénitien. Elle a de grands yeux noisettes et une délicate liste blanche lui descend du front comme une cascade de bonheur.
Et bien le bonheur, il n’y a que là pour le trouver dans la vie de Fifi.
Hier soir, la dame qui s’occupe de moi, Xavier le comédien qui réparait la porte du théâtre dans un précédent chapitre, Ben le petit homme à la moto rouge sont allés retrouver Mélanie quelque part dans les bocages Normands.
Mélanie, elle fait partie de ces petites fées qui sauvent les chevaux, vous savez ? Voir mon récit du 13 avril dernier…. Moi je ne suis pas passé par chez elle, mais d’autres chevaux lui doivent une sacré seconde chance et Petite Soie en fait partie… Et Fifi aussi.
Mais pour ce qui est de seconde chance, Fifi, faudrait déjà qu’elle en ait eu une, un jour, de première chance.
Fifi aujourd’hui a 27 ans…. C’est une vieille dame, maigre, si maigre, décharnée je dirais.
Dans son pré d’herbe bien verte, un fil de barbelé se promène en divagation… Pas d’abreuvoir, juste un seau amené par Mélanie. Ou sont les propriétaires ?
Propriétaires de Fifi, faut que je vous explique : La différence entre un poney et un chameau, ce sont les deux bosses que portent le second sur son dos. Un poney n’a pas de bosse sur le dos. Hé, non ! Et si le chameau est en mesure de se passer d’eau pour traverser le désert, il va autrement du poney.
Propriétaires de Fifi, faut que je vous explique : La babouche ne se porte pas en normandie… Et de mémoire de cheval, je ne crois pas que les chameaux en portent d’ailleurs.
Donc, Propriétaires de Fifi, sachez que votre ponette ne devrait pas porter des babouches… Et quand je dis babouches… Je devrais parler de chaussures de clown,… Et quand je dis chaussures de clown, ne devrais-je pas davantage comparer les pieds de Fifi à des cornes de buffle… Et un buffle âgé, âgé… Mais là, les lourdes cornes sont aux pieds de Fifi.
Propriétaires de Fifi, Faut que je vous explique : un petit caillou dans la chaussure, ça fait mal, ça fait mal…. Un petit caillou dans la chaussure, ça fait mal, ça fait mal … Nous sommes tous d’accord sur ça. D’accord ? d’accord, d’accord ! Bon ! Bien ! le petit caillou dans la chaussures, ça fait mal…. Et le clou dans le sabot depuis plusieurs années ?? Ca fait quoi ? Quoi ? Ce n’est pas pareil ? Ce n’est pas la même chose ? Ha oui, ce n’est pas la même chose… Je crains que cela ne soit un soupson pire.
Propriétaires de Fifi, faut que je vous explique : quand ils sont venus la chercher pour l’emmener, pour essayer de la soigner, pour essayer de la soulager, j’aimerai penser que c’est la honte et non l’indifférence qui vous a fait briller par votre absence.
Propriétaire de Fifi, faut que je vous explique : Fifi elle arrive à peine à se déplacer avec ses pieds arrière déformés. Elle est cependant montée dans le van avec tout le désespoir de sortir de là… Là, de ce cauchemar… de cet enfer au quotidien durant 20 ans. Elle est montée dans le van, hier, en suivant une main inconnue contenant un petit carré de sucre. Elle aurait tout supporté pour manger un petit carré de sucre, y compris la douleur. Elle aurait tout supporté pour partir de là ou elle se trouvait, de là… et là… C’est VOUS.
L’avenir de Fifi est tout de même bien sombre. J’aime à croire cependant, que de l’eau à volonté, un peu d’herbe, de foin de complément, un peu de caresse, de tendresse, d’attention apporteront de toutes petites bulles de réconfort à Fifi.
Propriétaires de Fifi, vous ne l’êtes plus. Fifi a plié bagage, elle est partie vers une fin de chemin un peu moins douloureuse. Vous, vous n’êtes plus que propriétaires de votre conscience et de votre abandon. Ce n’est déjà pas rien….
Et vous savez quoi ? La longueur des cornes des pieds de Fifi, ses abcès sanguinolents, suintants, ils ne sont que le miroir de votre vilaine âme.
Je dis ce que j’en dis : vous n’êtes pas beaux.
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21 avril
Flap, flap, flap.
Fifi s’est envolée au royaume des chevaux libérés. Pauvre Fifi. D’ailleurs Fifi, ce n’était pas son nom, son véritable nom. Elle s’appelait Ange. C’est joli Ange, cela aurait mérité une belle vie. Pauvre petite princesse, Je te regarderai galoper dans le soleil couchant ce soir, toutes ailes déployées. Flap, flap, flap.
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La dame a écrit :
Ils se disent des hommes
Ils se disent des hommes. Ils marchent sur deux pieds, font les fiers au volant de leur voiture. Ils ont de jolies petites maisons proprettes, à la façade blanche repeinte. Aux fenêtres, des géraniums rouges sang, leur jardin est bien entretenu, l’herbe tondue régulièrement ressemble à du gazon. La cour de gravillon est lumineuse et propre. C’est là où vivent ceux qui se disent des hommes. Comme c’est le printemps, les oiseaux chantent de partout. Et pourtant, eux, ils sont témoins. Comment peuvent-ils avoir le cœur à chanter ? A moins que leurs chants ne soient des chants de désespoir ou d’appel au secours.
Ils se disent des hommes. Leur vêtements sentent bon l’adoucissant, et sont propres et bien repassés. Leurs sourires sont de circonstance et affichent des dents bien blanches identiques aux façades de la maison. Ils assistent aux cérémonies, à la fête du village et vont voter en bon citoyens. La dame va chez le coiffeur, faire enrouler ses cheveux teints sur des bigoudis. L’homme dirige sa petite entreprise et a engagé un employé. Elle, porte des chaussures noires à talons carrés comme dans la mode d’il y a dix ans mais qui se porte encore par ici. Lui, se passe le visage à l’après rasage le matin avant de sortir.
Ils se disent des hommes.
Pourquoi ? Comment ? Un jour, tous deux ont décidé. L’ont décidé. Ils l’ont acheté. Elle était jolie, toute jolie, la petite ponette. Qui n’aurait pas fondu devant sa toute beauté, sa toute splendeur, ses grands yeux malicieux noisette, sa crinière couleur miel et son poil doux tout roux. Ils n’y connaissaient rien aux chevaux. Ce n’est pas un crime de ne pas savoir. C’est de ne pas apprendre qui en est un.
La petite ponette, l’ont-ils acheté pour des enfants ? Pour un Noel ? Un anniversaire ? Combien de temps a duré l’extase de la regarder brouter dans le champs attenant à la maison ?
Au début, ce fût le piment de la nouveauté. Ca te gazouille dans le cœur la nouveauté. Ca te balance des frissons de joies. Alors on aime la nouveauté. La nouveauté toute jolie, toute gracieuse n’a qu’un défaut, un seul et embarrassant défaut. Elle ne reste pas nouveauté bien longtemps. Alors une autre nouveauté a donc chassé l’ancienne. Un caprice a pris la place de celui-ci, de celui-là, de celle-là… de la petite ponette.
Ils se disent des hommes. Est ainsi que vivent les hommes ? Ils auraient pu la vendre, la donner. Ils ont préféré l’oublier. Elle a commencé à boiter, à maigrir. Elle ne devenait plus si jolie dans la lumière du matin. Pas besoin d’abreuvoir. Il pleut en Normandie, c’est suffisant. « Et le clou dans le pied, on n’arrive pas à l’enlever, alors ! » Pas de nécessité à faire venir un maréchal, « on ne s’en sert plus de la ponette ». Pas besoin de faire venir un vétérinaire. « Des sous pour une bête ? Vaut mieux les garder pour la maison ». Et la maison est toute proprette avec sa cour en gravillon et ses géraniums rouges sang aux fenêtres.
Et le calvaire a duré plus de 20 ans. 20 fois 365 jours, 20 ans avant qu’un voisin anonyme ne se décide à sous-entendre, qu’il était peut-être temps de faire quelque chose pour la petite ponette.
Mais c’était trop tard. Quand les secours sont arrivés, la petite ponette qui n’arrivait plus à se déplacer s’est pourtant jeté dans le van avec le désespoir d’un terrifiant « enfin ».
C’était vendredi et nous sommes mercredi. La petite ponette a fermé les yeux hier en frottant son bout de nez contre la main qui l’endormait. Dernier petit geste que reconnaitront les cavaliers, geste d’amitié de la part d’un cheval. Geste de remerciement.
La petite ponette s’appelait Ange. Ceux qui se disaient des hommes l’appelaient Fifi.
Ange, c’est joli. A présent que la voilà débarrassée de ceux qui se disaient des hommes, à présent qu’elle est là-haut, dans de bleus pâturages, elle peut enfin porter son nom, son véritable nom : Ange.
Mais pour ce qui est des hommes…
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29 juillet
Avignon
Des extraits de mon journal de bord seront présentés au festival d’Avignon. Ce devait être le 11 et cela sera finalement le 16 juillet à l’Espace Alya.
Je deviendrai peut être célèbre, mais je m’en fiche bien. Je voudrais juste être heureux.